Modèle

Est-ce que les biais cognitifs sont irrationnels ?

Recherche de gain et Aversion à la perte

Si j’ai bien compris…

Contexte historique

D’antan, le modèle de l’animal humain adopté par les économistes était Homo Economicus. C’est un personnage individualiste, égoïste, avare et rationnel.

Charles Dickens a décrit ce personnage dans son œuvre « Un chant de Noël » : Scrooge.
C’est le Scrooge du début de l’histoire qui représente Homo Economicus. Mais le Scrooge de la fin de cette histoire, transformé en père Noël, n’a pas été modélisé par les économistes. La générosité est probablement considéré comme irrationnelle.

Je digresse… Passons… et revenons à nos moutons puisque la générosité n’est toujours pas prise en compte par les modèles économiques et n’est pas le sujet de cet article.

En premier, Homo Economicus était supposé choisir rationnellement selon la valeur de l’objet à acquérir. Puis, la Théorie de l’Utilité est venue contredire la Théorie de la Valeur en mettant l’accent sur l’utilité de l’objet à acquérir.
Aujourd’hui, la Théorie des Perspectives est venue remplacer la Théorie de l’Utilité.

La Théorie des Perspectives a été proposée par les psychologues Daniel Kahneman et Amos Tversky dans un article scientifique en 1979. Et, la Théorie des Perspectives a valu le Prix Nobel de l’économie en 2002 à Daniel Kahneman.
S’ajoute à ceci, les travaux de Daniel Kahneman avec l’économiste Richard Thaler et voilà comment l’économie comportementale est née. Je note aussi que Richard Thaler a lui-même été reconnu par ses pairs en recevant le Prix Nobel de l’économie en 2017.

L’aversion à la perte, fait partie de la Théorie des Perspectives. C’est le sujet de cet article.

Vocabulaires

Le risque, en économie, est étudié dans les jeux d’argent. C’est la branche des probabilités en mathématique qui est utilisée. Exemple : si vous lancez un dé à 6 faces, vous avez une probabilité de 1/6 de tomber sur la face 1. Et, la somme de toutes les probabilités est égale à 1. Donc, la probabilité de ne pas tomber sur la face 1 est de 5/6.

L’incertitude, en économie, est étudiée dans la répartition d’une population selon une segmentation. C’est la branche des statistiques en mathématique qui est utilisée. Exemple : dans une population, vous identifiez un échantillon représentatif ; puis, vous identifiez une segmentation que vous voulez étudier ; ensuite, vous évaluez la répartition de l’échantillon selon cette segmentation ; pour finir par généraliser vos calculs à la population d’origine.

Dans cet article, j‘écris à propos des prises de décisions des animaux humains en situation de risque.

Théorie des Perspectives

Cette théorie couvre plusieurs concepts.
Par exemple, il y a l’aversion au risque. C’est la tendance de l’animal humain de préférer la certitude au risque. Ce comportement est dénommé : effet de certitude.
L’aversion au risque n’est pas le sujet de cet article, et, il ne faut pas confondre l’aversion au risque avec l’aversion à la perte.
L’aversion à la perte, est le comportement qui vous fait surestimer la valeur d’un bien que vous possédez.
D’autres tendances psychologiques sont présentées dans cette théorie que vous pouvez découvrir dans l’article scientifique.

Expériences proposées par les scientifiques

Pour démontrer l’aversion à la perte, les scientifiques ont imaginé deux expériences séparées.
Pour chaque expérience, les participants ont le choix entre le risque lui-même et un choix sans risque :

  • Le risque de gagner v/s un choix sans risque ;
  • Le risque de perdre v/s un choix sans risque.

Vont-ils prendre le risque ? Ou, vont-ils choisir l’option sans risque ?

Première expérience : Le risque de gagner v/s choix sans risque
Vous allez recevoir 1000€ si vous jouez à ce jeu, mais seulement après avoir fait un choix entre 2 options : un choix risqué et un choix sans risque.

  • Le choix risqué : vous lancez une pièce, si elle tombe sur face vous gagner 1000€ supplémentaires et vous sortez avec 2000€, si elle tombe sur pile vous partez avec vos 1000€ d’origine.
  • Le choix sans risque : vous partez avec 1000€.

Deuxième expérience : Le risque de perdre v/s choix sans risque
Vous allez recevoir 2000€ si vous jouez à ce jeu, mais seulement après avoir fait un choix entre 2 options : un choix risqué et un choix sans risque.

  • Le choix risqué : vous lancez une pièce, si elle tombe sur face vous perdez 1000€ et vous sortez avec 1000€, si elle tombe sur pile vous partez avec vos 2000€ d’origine.
  • Le choix sans risque : l’expérimentateur vous prend 1000€ et vous partez avec le reste, soit 1000€.

Vous remarquez que dans les deux expériences le résultat final est le même :

  • le résultat du choix sans risque est 1000€.
  • le résultat du choix risqué est soit 1000€ soit 2000€.

Donc, rationnellement, les deux expériences sont identiques.

Le point de départ des expériences étant différent, il est possible de présenter la première expérience comme un risque de gagner et la deuxième expérience comme un risque de perdre.
C’est un effet de la présentation du risque qui est mise en scène : framing effect.

En présence de deux risques égaux, les animaux humains choisissent en majorité de prendre le risque quand ce risque est présenté comme un gain potentiel, et ils choisissent en majorité d’éviter le risque quand ce risque est présenté comme une perte potentielle. D’où le nom : aversion à la perte.

Un choix systématique intuitif

Je décompose ces termes.

L’aversion à la perte est systématique. C’est-à-dire qu’elle peut être modélisée par une équation mathématique prédictive d’un résultat démontrable dans la réalité. C’est-à-dire aussi qu’elle provient d’un système. Dans ce cas précis, c’est le système génétique. L’aversion à la perte est par exemple démontrée chez les singes capucins et chez les humains. Donc elle est héritée d’un ancêtre commun à ces deux espèces. C’est un comportement très ancien.

L’aversion à la perte est intuitive. C’est-à-dire qu’elle est programmée dans le cerveau et rapidement disponible. Intuitivement, l’animal humain est poussé à prêter plus attention à ses pertes qu’à ses gains.
Selon une théorie, la logique est reliée à la survie : si l’animal humain perd une journée de nourriture alors que les ressources sont rares, ceci peut être fatal. Ainsi, l’animal humain donne une valeur plus importante pour ses possessions.

Alors, est-ce que les biais cognitifs sont irrationnels ?

Plusieurs autres questions me viennent à l’esprit. Rationnel ou irrationnel par rapport à qui ? Par rapport à quoi ?

Prenons le cas d’un écureuil qui accumule des glands dans son terrier pour l’hiver. Survaloriser son trésor en prenant la précaution de cacher l’entrée de son terrier est un comportement rationnel. Car perdre son trésor lui serait fatal. Dans ce cas, je dirais que l’aversion à la perte est rationnelle pour sa survie.
Mais, comme démontré plus haut dans le cas des expériences de jeux d’argent, l’aversion à la perte est irrationnelle. Il faut choisir de prendre le risque dans les deux cas.

Et, qu’en est-il de la recherche du gain ?

Imaginez que vous tombez sur un entrepôt rempli de tablettes de chocolat de votre marque préférée. Ne serait-il pas irrationnel d’engloutir toutes ces tablettes? Est-ce-que l’épidémie de l’obésité n’est pas une démonstration suffisante ?

D’un autre côté, il me semble rationnel d’épargner pour les mauvais jours. Mais, s’il était rationnel, à titre individuel, de retirer son épargne du marché économique et d’entasser son trésor dans les paradis fiscaux, n’est-il pas irrationnel, pour la survie du marché financier, de cacher cet argent ?
C’est un peu comme un joueur de poker qui a gagné une somme, alors, il sort de table et met de côté son gain, puis il revient s’assoir avec sa mise de départ. Est-ce qu’il sera invité à jouer une prochaine fois ?

Alors, rationnel ou irrationnel ?

Je ne sais pas comment répondre clairement à cette question.

La prévalence de l’expression “biais cognitif” donne parfois l’impression que les intuitions des animaux humains sont tout le temps source d’erreurs de jugement. Mais ce n’est pas systématiquement vrai.
C’est dans des situations particulières que les intuitions des animaux humains sont inutiles.

A mon avis, le biais cognitif n’est ni rationnel ni irrationnel. C’est simplement une sur-pondération ou une sous-pondération systématique intuitive d’une évaluation.
Et, c’est le contexte qui dicte la rationalité d’un jugement.

Mais, je peux avoir tort…

Ressources correspondantes

Prospect Theory

Format: Article Scientifique | Auteurs : Daniel Kahneman, Amos Tversky | Presse : Econometrica

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