Analyse

Pénurie de masques et le piège de la rareté

Les effets sur le cerveau : La Vision Tunnel

Petite histoire perso

Je regarde le journal télévisé. Un mot est répété tellement de fois que ça résonne dans mon cerveau comme une alarme : Pénurie ! Pénurie ! Pénurie !

Pénurie de masques, pénurie de respirateurs, etc…

Pourtant, il y a de la créativité. Il y a ceux qui transforment un masque de plongée en masque contre le virus ou en masque pour respirateurs.

Alors, j’ai pensé vous faire découvrir un épisode du podcast Hidden Brain : Tunnel Vision.

L’histoire de Brandy

Shankar Vedantam, l’hôte du podcast, commence par l’histoire de Brandy, une femme de 37 ans du Michigan, qui, au retour de son travail, s’arrête dans un magasin pour acheter des couches pour son enfant. Brandy utilise la carte de paiement de son employeur au lieu d’utiliser sa carte personnelle. Son employeur la licencie. Sa situation familiale se dégrade et son mari la quitte. Ses ressources diminuent et elle s’inquiète constamment à propos de la survie de sa famille.

Pour joindre les deux bouts, elle prend une carte de crédit. Elle utilise cette carte pour acheter des provisions pour sa famille. Elle épuise rapidement son crédit. Et, elle oublie de laisser de côté de l’argent pour acheter du carburant pour son véhicule. Elle rentre ainsi dans un cercle vicieux qui l’entraine de plus en plus dans une extrême pauvreté.

Avec le recul, elle réalise son erreur et elle comprend que si elle avait fait un budget pour le mois, elle aurait pu laisser de l’argent de côté pour le carburant.

Vedantam pose alors ces questions : pourquoi Brandy a fait ces erreurs ? Est-ce-que quelque chose a causé ce changement dans son comportement ?

La thèse proposée

Quand nous vivons une pénurie, nous tombons dans son piège, qui à court terme nous permet de résoudre nos problèmes immédiats, mais à long terme peut rendre la situation pire.

Pour illustrer son propos, Vedantam nous ramène dans le passé. Il nous emmène vers la fin de la deuxième guerre mondiale quand la famine menaçait l’Europe.

The Minnesota Semistarvation Experiment

En 1944, des chercheurs de l’université de Minnesota ont conduit une expérience pour comprendre les effets de la grève de la faim sur le corps et sur le comportement des animaux humains. Les conclusions de cette étude furent publiées et restent un jalon dans les études sur la nutrition, sur la famine et sur les désordres alimentaires.

Récemment, deux chercheurs, Sendhil Mullainathanet et Eldar Shafir, se sont intéressés à cette étude vieille de plus de 70 ans ; ils ont porté leur attention à l’impact que la pénurie de nourriture induit dans le comportement des participants à l’expérience.
Ils découvrent que la pénurie agit sur le cerveau comme un signal d’alarme.

La pénurie opère de la sorte : quand les animaux humains désespèrent pour quelque chose, ils s’y concentrent si obsessionnellement qu’il reste peu de place pour autre chose.
En revisitant la documentation de cette ancienne étude, Mullainathanet et Shafir remarquent que, pour les sujets en grève de la faim, la nourriture devenait le principal sujet de discussion.

Par exemple : les chercheurs de l’étude originale proposent aux participants en grève de la faim de regarder un film pour leur changer les idées. Au retour de la projection, les participants parlaient des scènes de repas au lieu de parler des scènes sentimentales ou érotiques.

Le piège de la pénurie

Shafir a fait le rapprochement avec des études qu’il menait sur des personnes pauvres. Il remarque ainsi que ces personnes se comportaient de la même manière que les personnes en grève de la faim.

Si ceux qui ont entrepris une grève de la faim obsédaient à propos de la nourriture, les personnes pauvres obsèdent au sujet de joindre les deux bouts et comment s’organiser jusqu’à la semaine prochaine.

Il est probable que le cerveau est câblé pour répondre à la pénurie en créant un effet tunnel sur les choses qui manquent.

Les chercheurs prétendent que ceci est logique d’un point de vue évolutionnaire.
Imaginez une personne, à l’époque des cueilleurs-chasseurs, occupée à faire ses tâches journalières. Si à un moment elle a faim, il semble normal que le cerveau développe un mécanisme d’alarme qui somme obsessionnellement l’individu à apporter de la nourriture à son organisme.

Quand vous avez faim, votre cerveau vous envoie des messages : « pensez à manger » ; « est-ce que vous réalisez que vous avez faim ? » « Avez-vous mangé ? » Etc… Manger devient si essentiel que le cerveau boucle sur cette idée. C’est le piège de la pénurie :  la vision tunnel.

Dans le cas de Brandy, elle était si obsédée par le fait d’acheter les produits essentiels pour sa famille qu’il ne restait plus de place dans son cerveau pour penser au carburant pour ses déplacements. Ceci s’appelle la bande passante. Quand le cerveau fonctionne en version tunnel pour clarifier les choses qui sont importantes en ce moment, le problème est que le cerveau perd la vision en dehors du tunnel.

Les études montrent que les personnes qui rentrent dans le tunnel de la pauvreté sont très habiles pour régler les problèmes à court terme : comment jongler avec leurs finances pour survivre jusqu’à demain ? Jusqu’à la semaine prochaine ?
Ces personnes sont très bonnes pour trouver des solutions pour les problèmes immédiats, et réfléchissent peu aux problèmes qui arriveront dans 3 semaines, comme la facture d’électricité.

Comme le proverbe le suggère : « A chaque jour suffit sa peine. »

Alors, les chercheurs proposent de regarder le problème de la pauvreté sous un autre angle. Au lieu de penser que les personnes pauvres prennent des décisions irrationnelles, ne serait-il plus indulgent de penser que c’est la pénurie qui rendrait ces personnes plus performantes dans certains domaines et moins performantes dans d’autres domaines ?

Ce résumé de l’épisode est incomplet, car, mis à part le cas de la pauvreté, vous trouverez d’autres cas de vision tunnel provoqués par la pénurie. Cet épisode raconte des histoires de pénurie de liens sociaux et de pénurie de temps, etc… Ce résumé est encore plus superficiel que le livre de Mullainathanet et de Shafir.

En conclusion

L’effet tunnel peut être provoqué par plusieurs causes. Vous pouvez reconnaître vos tunnels en identifiant les idées répétitives ou les discussions répétitives.

L’effet du tunnel est d’améliorer la résolution de problèmes à courts termes et de détériorer la résolution de problèmes à longs termes.

Le remède a été trouvé pour Brandy. Elle a appris à faire son budget et elle est sortie de l’extrême pauvreté.

Un proverbe suggère : « Le besoin est la mère de l’invention. »

Alors, peut-on considérer que c’est l’effet tunnel provoqué par la pénurie de masques qui a permis de trouver une solution à court terme ? Probablement oui.

Mais, qu’allons-nous inventer comme solution à long terme ?
Allons-nous tous marcher dans les rues avec un masque de plongée sur le visage ?
Est-ce-que l’alarme du cerveau sonnera : trouvez des solutions à long terme ! Trouvez des solutions à long terme ! Trouvez des solutions à long terme ! Trouvez des solutions à long terme ! ?
Je doute.

Trouver des solutions à long terme impose de la planification. Ce n’est pas une fonction de l’effet tunnel. L’effet tunnel s’occupe de l’immédiat.

Alors, il va falloir être plus créatif et accéder à d’autres fonctions du cerveau. Comme Brandy, il va falloir réapprendre à budgéter et à planifier pour le futur.

Il y a de la lumière au bout du tunnel, mais, faut surtout pas que ce soit un train qui arrive dans l’autre sens.
Je vous invite alors, pour ceux qui le peuvent, une fois par jour, de revoir les lignes de votre budget et de votre plan.

Y-a-t-il d’autres lignes à ajouter ?

Ressources correspondantes

Personnes associées