Analyse

Primates Humains v/s Primates non-Humains

Score : Capucins 4 , Humains 3

Les Capucins de Santos reçoivent un revenu de base universel

Dans son laboratoire à Yale, Dr. Laurie Santos apprend à des singes capucins à faire du commerce.

Bon, c’est un peu exagéré. Les capucins apprennent à échanger des jetons contre des aliments, mais ils n’ont pas encore réussi à vendre sur le marché. Ce sont les étudiants de Santos qui posent comme vendeurs à la sauvette pour proposer leurs produits à leurs cousins.

C’est peut-être pour ça que les étudiants finissent dans les entreprises alors que les capucins ne reçoivent pas de MBA, ne partent pas travailler dans les grands groupes et ne peuvent jamais quitter l’hôtel Yale…

Il se peut que l’argent reste chez les capucins un moyen et ne se transforme pas en but. Je suppose que certains rêveraient de conquérir ce marché. 😉

Mais bon, revenons aux expériences menées par Santos dans son laboratoire. Quel intérêt trouve-t-elle d’apprendre aux capucins d’acheter leurs aliments ?

C’est pour tester leurs choix économiques

Sa logique est simple : si les capucins font les mêmes choix économiques que les humains alors l’origine de ces comportements est ancienne et ils ont été transmis par un ancêtre commun aux deux espèces par les mécanismes de l’évolution. Et par opposition, si certaines prises de décisions ne sont pas équivalentes à celles des humains, alors ces dernières sont spécifiquement humaines ou spécifiquement capucines. Dans ce dernier cas, ces comportements ont pu se développer ultérieurement et peut-être autrement que génétiquement.

Alors qu’est-ce que ces capucins nous apprennent sur les animaux humains ?

Santos trouve que les capucins comme les humains maximisent la valeur de leurs achats

Comme Laurie Santos le dit, les humains sont capables intuitivement de rationnellement maximiser la valeur d’une transaction. Alors, elle tente avec son équipe de vérifier si chez les singes capucins c’est aussi le cas.
Dans cette expérience, les singes avaient le choix entre deux vendeurs. Avec le premier, ils pouvaient acheter 1 raisin avec 1 jeton, et avec le second, ils pouvaient acheter 2 raisins avec 1 jeton.
80% à 90% des singes ont préféré acheter 2 raisins pour 1 jeton.

Ainsi Santos peut émettre l’hypothèse que : Maximiser la valeur est un comportement hérité d’un ancêtre commun aux capucins et aux humains. Et que le choix intuitif des capucins est aussi rationnel que le choix intuitif des humains.
Score : 1 capucin, 1 humain.

Elle trouve aussi que les capucins calculent le risque

Dans cette expérience, les singes passaient plusieurs transactions. Les vendeurs pouvaient changer le prix à chaque transaction. Les singes semblaient calculer la moyenne de ce que les expérimentateurs ont fait au fil du temps et choisissaient leur fournisseur en conséquence.
Les singes semblaient s’adapter au changement de prix aussi bien que les humains.
Score : 1 capucin, 1 humain.

Et même que ces capucins ont une aversion à la perte

Là, nous rentrons dans le cadre des choix irrationnels que les primates humains font. Dans les expériences humaines sur les prises de risques, il a été démontré que les humains préféraient le risque de gagner au risque de perdre même si le risque était le même.

Les expériences sur les singes capucins montrent la même tendance d’aversion à la perte que chez les humains. Donc, les capucins font dans ce cas le même choix irrationnel que les humains font. Je vous laisse imaginer comment Santos a traduit cette expérience humaine chez les capucins, ou vous pouvez lire l’article scientifique. C’est dans cet article scientifique que vous toucherez du doigt la difficulté d’imaginer des expériences chez une autre espèce. Santos a dû mener 4 expériences pour valider sa théorie et éliminer d’autres hypothèses.

Cette expérience montre que l’aversion à la perte est un comportement très ancien. Il a été transmis aux primates humains par les mécanismes de l’évolution par un ancêtre commun avec les singes capucins. Cependant, ce comportement peut être encore plus ancien.
Score : 1 capucin, 1 humain.

Mais les capucins ne sont pas sujets au biais Prix-Valeur

Voilà, les singes ne sont pas aussi dupes que les humains, car dans le cas du biais prix-valeur, les humains y succombent alors que les singes capucins en sont exempts.
Alors, c’est quoi ce biais ? Eh bien, c’est le biais cognitif qui vous fait préférer le goût du vin qui coûte 100€ à celui qui coûte 10€, même si en réalité les deux bouteilles sont les mêmes. Vous allez avoir subjectivement une meilleure expérience gustative avec le premier vin qu’avec le second. (Vidéo)
Le biais prix-valeur chez les humains a été reproduit de différentes manières et Santos cite en exemple les travaux du chercheur Dan Ariely dans le cas des médicaments contre la douleur. Dans son cas aussi, il a trouvé que les humains sentaient que le médicament le plus cher donnait un meilleur résultat même si les deux produits en réalité sont les mêmes.
Score : 1 capucin, 0 humain.

A mon avis

Quand il s’agit de choix intuitif rationnel, le score final est : 4 pour les capucins et 3 pour les humains.
Quand il s’agit de choix intuitif irrationnel, le score final est : 1 pour les capucins et 2 pour les humains.
Santos propose alors une théorie qui se résume ainsi : le biais prix-valeur est un biais spécifiquement humain et n’est pas le fruit de l’évolution d’un ancêtre commun avec les singes capucins.

Je ne sais pas si ce biais existe chez un ancêtre commun avec les chimpanzés par exemple. Je ne sais pas si on peut dire qu’il est « spécifiquement » humain.
On pourrait dire aussi que le choix intuitif des capucins dans le cas du dilemme prix-valeur est « spécifiquement » rationnel.
Ceci dit, Santos ne présente dans le podcast que 5 expériences. C’est très peu par rapport à tous les comportements intuitifs et je n’ai pas une vue d’ensemble aussi rigoureuse qu’elle peut avoir.

Mais qu’est-ce qui fait que les primates humains tombent dans le piège Prix-Valeur ?
Santos propose une théorie en cours : c’est la culture qui dicte ce comportement; c’est l’influence de l’environnement sur le comportement. Après tout, on dit bien que les animaux humains se comportent comme des moutons; le premier avance et les autres suivent. De là à dire « spécifiquement », j’ai des doutes. Je vous laisse ainsi écouter l’histoire de l’introduction du homard dans la culture américaine dans l’épisode Monkey Marketplace du podcast You Are Not So Smart.
Mais…

Attention aux risques !

Comme vous avez remarqué, il n’est pas évident de tirer des conclusions généralisées sur le comportement humain en comparaison au comportement non-humain. Il n’est pas non plus évident de tirer des conclusions sur l’intelligence d’une espèce par rapport à l’autre, vu que le concept d’intelligence est encore plus abstrait. Dans ce cas, il faut être spécifique et traiter chaque comportement individuellement.

Mais, dans le cas de l’utilisation des biais cognitifs dans l’environnement professionnel, il me semble que les risques augmentent. Maintenant que l’information est largement disponible, les consommateurs commencent à comprendre toutes les manipulations que certains font pour duper leurs congénères.

Je commence par le moins grave. Si vous distribuez un stylo avec votre logo dessus, cela pourrait avoir une incidence sur votre marque quand l’encre du stylo coulera dans la poche de votre client. Dans ce cas, il n’y a pas mort d’homme !

Mais il y a nettement plus grave. Le commerce des informations comme la géolocalisation, qui ne peut être anonyme par définition puisque la géolocalisation conduit directement à une personne spécifique, commence à faire des morts.

Et pour enfoncer le clou. Les publicités accrocheuses des vendeurs d’arbalètes automatiques à gros chargeur jouent aussi sur ces biais. Les journaux relatent leurs conséquences depuis très longtemps.

Et pour encore enfoncer le clou encore plus profond. La crise des opioïdes dans une contrée puissante est un exemple édifiant de plusieurs tactiques de ce genre et nous remarquons l’hécatombe qui continue aujourd’hui.

Le jour où certaines entreprises vont être accusées de complicité de meurtre, elles vont la sentir passer celle-là. Un groupe pharmaceutique vient à peine d’échapper à cette accusation et a dû déclarer faillite et transformer l’entreprise en organisation à but non lucratif pour dédommager les victimes. C’est quand même 400.000 morts depuis 1999 dans une seule contrée. Quel est le chiffre global ?

Est-ce que les primates humains vont soudain prendre des décisions délibérées rationnelles? Est-ce qu’ils vont être libérés de leurs biais cognitifs intuitifs? Je ne pense pas. Le risque est ailleurs.

Le risque est que les consommateurs vont généraliser en considérant que tous les entrepreneurs sont des voleurs et des tueurs. C’est déjà le cas pour les politiques puisque nous entendons souvent la phrase « tous pourris ».

Quand ce qui était un jeu de séduction se transforme en jeu de duperie, faut-il encore s’étonner de voir la vie en jaune ?

Et pour finir, imaginez

que vous allez acheter, pour un dîner chez un(e) ami(e), une bouteille de vin dans un supermarché. Comme vous voulez faire plaisir à votre ami(e) et que vous connaissez le biais prix-valeur, vous décidez de glisser la bouteille dans un sac Hédiard en pensant que la seule apparence de luxe suffit pour augmenter son plaisir. C’est comme un bonus de bonheur qui ne coûte pas grand-chose.
Pendant le dîner, tous les convives auront une meilleure expérience gustative que vous car vous savez que c’est une bouteille adaptée à votre budget limité que vous avez choisi. Mais vous êtes heureux grâce au bonheur que vous avez apporté avec vous. Vous passez avec lui (elle) et les autres convives une super soirée !
Alors, est-ce-que c’est sympa d’utiliser les biais cognitifs de vos ami(e)s pour les rendre encore plus heureux ?

Maintenant, vous allez me dire : « mais comment as-tu sous la main un sac Hédiard ? »
Je vous réponds : « eh bien, c’est cet ami qui m’a offert une bouteille pour le dîner de la semaine dernière chez moi. Si ça se trouve, il connait aussi le biais prix-valeur et qu’il avait lui-même ce sac à disposition ». Je peux aussi ajouter : « nous avons passé une excellente soirée la semaine dernière et le vin était délicieux ».

Puis la question devient : « es-tu tombé de même dans ce biais ? »
La réponse à cette question est claire pour moi. J’aime une marque bien spécifique de champagne et je pense sincèrement que je l’apprécie à cause de la forme de la bouteille. Ce sujet traite du prix, mais dans mon cas, c’est la forme de la bouteille que je trouve belle et qui probablement influence la centrale de plaisir dans mon cerveau. 😉

Est-ce que c’est la même chose si vous offrez un colifichet dans un coffret Cartier ? Probablement oui, pour les quelques premiers jours. Mais quand le colifichet commence à laisser des traces vertes sur sa peau, l’émotion de votre ami(e) va probablement changer.
Alors, peut-on conseiller d’utiliser cette tactique seulement pour les produits à consommer rapidement ? Sinon, pour les produits non-consommables vous risquez de provoquer de la tristesse à posteriori et vous ne voulez pas générer de la tristesse chez vos ami(e)s.

Tous mes ami(e)s vont douter de mes cadeaux à partir d’aujourd’hui. S’ils ont le courage de lire jusqu’ici 😉
Peut-être !

Ressources correspondantes

Personnes associées

Laurie Santos

Université : Yale | Métier : Professeur | Domaine : Psychologie

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